Le goût de la mangue
La première fois que j’ai participé à un cours de Feldenkrais je me suis trouvé incapable d’expliquer à un ami en quoi ça consistait. La seule chose que je savais, c’est que ça m’avait permis de porter une attention toute nouvelle à mon corps, que ça m’avait fait du bien et qu’à la fin de la séance je me sentais plus délié, plus stable, plus équilibré.
– C’est une sorte de gym ? m’a demandé mon ami.
– Non, pas vraiment, ou peut-être une sorte de « gym intelligente », mais on ne répète pas des exercices…
– C’est de la relaxation ? a poursuivi mon ami.
– Non, mais ça m’a quand-même apporté un sentiment de détente…
– C’est une sorte de méditation peut-être ?
– Non plus, quoique parfois le prof t’invite à imaginer un mouvement avant de le faire…
– Ça a un lien avec l’ostéopathie ?
– Non, mais c’est vrai que certaines sensations liées aux mouvements et les explications du prof sur l’anatomie m’ont fait penser aussi à des séances d’ostéopathie…
– C’est quand-même une sorte de thérapie alors ?
– Non, non… même si à la fin de la séance on se sent plus reconnecté à soi-même.
La vérité c’est que je ne savais pas du tout expliquer ce que j’avais fait lors de cette séance ! J’en étais sorti assez intrigué, avec plus de questions que des réponses, tant sur ce que j’avais cru ressentir que sur ce que j’avais cru comprendre à propos de ma manière de bouger, sans me douter encore que ces questions étaient, justement, l’un des leviers d’action de la méthode.
Nous avons tous tendance à nous focaliser sur la recherche de résultats, le bien faire, la performance… Alors, quand dans un cours le prof nous invite à faire des mouvements sans modèle à imiter, sans posture à réussir, en nous encourageant à réduire l’effort pour mieux sentir et en attirant notre attention sur nos schémas de mouvement, il est inévitable qu’à un moment donné de la séance on se demande : « A quoi peut bien me servir ce mouvement ? » « Est-ce que je le fais correctement ? ». Mais justement, l’une des particularités du Feldenkrais est qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de faire les choses… tant qu’on reste guidés par la curiosité et qu’on les fait en conscience.
Et c’est là l’un des aspects « magiques » de cette méthode : c’est qu’on obtient des résultats sans vraiment les chercher, mais tout simplement en retrouvant le plaisir de bouger. C’est en élargissant notre répertoire de mouvements que notre système nerveux retrouve la possibilité de choisir, parmi différentes options, celles qui lui sont bénéfiques, et qu’il peut sortir de ses schémas compulsifs…
Alors, il est normal de ne pas tout comprendre et de se poser plein de questions quand on commence à pratiquer ! Mais la bonne nouvelle c’est que pour te guider dans ton apprentissage, tu pourras compter sur l’incroyable capacité d'adaptation, d'ajustement et de plasticité de ton cerveau. C’est grâce à cette merveilleuse capacité qu’un jour, sans que tu puisses vraiment te l’expliquer, tu sentiras que tes mouvements deviennent plus harmonieux et fluides, ou que ta posture est plus confortable, ou que tes douleurs musculosquelettiques commencent à diminuer, ou que tu fais un meilleur usage de toi-même dans tes activités quotidiennes. Et en attendant ce jour, la meilleure chose à faire pour aborder un cours de Feldenkrais, de mon point de vue, c’est de ne rien en attendre de précis, mais de rester curieux tout au long du voyage pour en sortir avec encore plus de questions et l’envie de continuer à apprendre !
Et puis, si l’un de tes amis te demande à son tour ce qu’est un cours de Feldenkrais, tu pourras toujours répondre ce que Moshé Feldenkrais avait répondu une fois à un journaliste qui lui posait cette même question (mais ça, je l’ai su plus tard) :
« C'est difficile de le dire en quelques mots, car ce n’est pas quelque chose de familier. C'est comme si vous vouliez expliquer à quelqu'un le goût d'une mangue. A moins d'en manger une, vous ne savez pas vraiment ce que c'est. C'est une chose à expérimenter, pas à raconter. »